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« Modernité de Socrate et de Saint Paul, pour l’Europe et les nations »

      Depuis l’année 2010, des sessions organisées chaque été en Grèce, au centre spirituel d’Inoï, sont placées sous le double patronage de Socrate et de saint Paul. Elles ne font pas que recueillir l’héritage du monde grec ancien et de la première rencontre entre le christianisme et ce monde grec, elles s’efforcent aussi d’en manifester les enjeux pour l’Europe et plus largement pour le monde multiculturel et multireligieux qui est le nôtre (il est d’ailleurs significatif qu’elles aient bénéficié il y a deux ans de l’apport d’un jésuite indien, et, l’an dernier, de l’apport d’un jésuite qui travaille en Chine).

      Il m’a été proposé, aujourd’hui, de revenir justement sur ces deux figures majeures de Socrate et de saint Paul : d’une part celle d’un philosophe de la Grèce ancienne, d’autre part celle de "l’apôtre des nations" qui peut être considéré (bien que ce mot soit anachronique) comme le premier « théologien chrétien » ; je voudrais tenter d’en dire la modernité, et suggérer par là même certains enjeux des réflexions et échanges qu’ont permis ou que permettront encore les sessions « Socrate – saint Paul hors les murs ». Le sujet étant immense, je l’aborderai de façon nécessairement partielle ; je voudrais au moins dégager, dans un premier temps, quelques traits de la figure de Socrate qui sont sans doute d’une grande portée pour nous, puis j’en viendrai à saint Paul lui-même dont je tenterai également de dire quelques apports majeurs.

 

1) Modernité de Socrate

      Socrate est né à Athènes, en 470 avant Jésus-Christ, et a vécu à une époque qui fut particulièrement brillante pour la cité athénienne : l’Athènes du 5e siècle est en effet celle qui connut les victoires de Marathon et de Salamine contre les Perses, l’apogée de la démocratie au temps de Périclès, et l’éclosion d’une littérature impressionnante avec les tragédies d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, les comédies d’Aristophane ou encore l’œuvre de l’historien Thucydide. Socrate, quant à lui, dut recevoir l’éducation que recevaient les jeunes athéniens de son temps, et nous savons aussi qu’il participa à trois campagnes militaires ; pour le reste, sa principale activité consista, à partir d’un certain moment, à se promener dans l’agora, la place publique d’Athènes, discutant avec ceux qu’il rencontrait ou qui venaient le voir, avec la vive conscience qu’il avait reçu une mission à l’égard de ses contemporains ; plus tard, dans son Apologie, il allait présenter cette mission en ces termes :

      « Ma seule affaire, c’est d’aller par les rues pour vous persuader, jeunes et vieux, de ne vous préoccuper ni de votre corps ni de votre fortune aussi passionnément que de votre âme, pour la rendre aussi bonne que possible ; oui, ma tâche est de vous dire que la fortune ne fait pas la vertu, mais que de la vertu provient la fortune et tout ce qui est avantageux, soit aux particuliers, soit à l’État (1). »

      Socrate compare sa tâche à celle d’un « taon » qui stimulerait un cheval ayant besoin d’être excité :

      « Cet office est celui pour lequel le dieu semble m’avoir attaché à votre ville, et voilà pourquoi je ne cesse de vous stimuler, de vous exhorter, de morigéner chacun de vous, en l’obsédant partout, du matin jusqu’au soir (2). »

      Socrate côtoyait ainsi des gens de toutes conditions et s’efforçait de les faire réfléchir sur toutes sortes de sujets. Il avait autour de lui un cercle d’amis fidèles et de disciples plus directement attachés à son enseignement – parmi lesquels Xénophon et surtout Platon, qui auraient à cœur de transmettre à la postérité l’héritage de leur maître (car Socrate lui-même n’a rien écrit, et ce que nous savons à son sujet nous est essentiellement connu par Xénophon et Platon). Mais Socrate suscita aussi l’incompréhension et même l’hostilité d’un certain nombre de ses contemporains, au point qu’en 399 il fut accusé « de corrompre les jeunes gens, de ne pas croire aux dieux auxquels croit la cité et de leur substituer des divinités nouvelles (3) » ; il comparut devant le tribunal de l’Aréopage et fut condamné à mort.

     

De cette figure de Socrate je voudrais retenir cinq traits qui sont d’une portée toute particulière.

      a) Tout d’abord, Socrate manifeste une étonnante liberté par rapport à certaines formes de savoir et de pouvoir dans la cité d’Athènes.

      Pour saisir cela il faut se rappeler qu’Athènes était alors marquée par la présence de ceux qu’on appelait les « sophistes ». Ces « sophistes » étaient des maîtres de rhétorique et d’éloquence, ils excellaient dans l’art de parler et d’apprendre à parler ; en soi il s’agissait là d’un art très utile et précieux, mais le problème est que les « sophistes » étaient souvent mus par un souci d’efficacité qui faisait passer à l’arrière-plan le souci de la vérité ; ils enseignaient des techniques de langage et de communication qui devaient permettre de convaincre l’interlocuteur à n’importe quel prix, et à la limite ils pouvaient donner un jour des arguments en faveur de telle idée et, un autre jour, défendre la thèse opposée à la faveur d’autres arguments ; nombre de jeunes athéniens, dès lors, trouvaient là des moyens pour faire passer leurs opinions quelles qu’elles fussent, au gré de leurs ambitions ou en fonction de leurs fins politiques. Et non seulement les « sophistes » pouvaient utiliser leurs techniques oratoires au service des causes les plus diverses, mais, parfois, ils prétendaient savoir tout ce qu’un être humain peut connaître en tel ou tel domaine.

      Or Socrate s’oppose radicalement à cela. Il a été quant à lui profondément marqué par la formule « connais-toi toi-même » qui est inscrite sur le fronton du temple de Delphes ; cette formule ne doit pas être entendue ici comme un appel à l’introspection, elle signifie plutôt, pour Socrate, l’appel à connaître ce qui est essentiellement vrai, juste ou bon. Dans un dialogue intitulé Hippias mineur, Socrate discute avec un « sophiste » du nom d’Hippias qui sait beaucoup de choses et qui a conscience de sa supériorité ; Socrate commence par ironiser à son sujet : il voit en lui l’homme le plus habile du monde dans la plupart des arts, il sait tout et peut tout… ; mais Socrate cherche à lui faire en réaliser qu’en réalité il ignore l’essentiel : on peut bien être expert en quantité de choses et exceller dans l’art de la persuasion, mais ce n’est pas cela qui, de soi, nous révèle comment utiliser son savoir ou son pouvoir. Hippias sait tout, mais il ignore l’essentiel ; Socrate, lui, dit qu’il ne sait pas, mais il a entendu l’appel à se connaître soi-même, et se connaître soi-même c’est reconnaître qu’on ne peut pas se contenter d’une somme d’informations ou de techniques d’expression (même si elles sont légitimes et nécessaires), c’est reconnaître qu’on doit chercher ce qui seul peut donner sens à nos connaissances et à nos actions – à savoir ce qui est vrai en soi, ce qui est juste en soi, ce qui est bon en soi.

      b) Deuxième trait que je recueille de la figure de Socrate : sa « méthode » même (au sens étymologique du mot : dans methodos, il y a odos qui veut dire « chemin »).

      Cette méthode consiste essentiellement dans le dialogue, dans la conversation, et dans une conversation d’un type particulier : ce que Socrate appelait l’« ironie » (dans un sens différent de ce que nous entendons aujourd’hui par ce mot). Il s’agit de quelque chose de très remarquable : même si Socrate dénonce la fausse prétention des « sophistes », il ne se présente pas pour autant comme « celui qui sait » (il répète au contraire : « je sais que je ne sais pas »). Mais il entre en conversation avec son interlocuteur et il veut apprendre quelque chose de lui ; et c’est alors que se produit un retournement : le général Lachès, qui croyait savoir ce qu’est le courage, découvre qu’il ne le sait pas ; le devin Eutyphron, qui croyait savoir ce qu’est la piété, découvre qu’il ne le sait pas. L’interlocuteur de Socrate reconnaît ainsi que ce qu’il croyait lui-même savoir ne tient pas vraiment, il en vient à se décourager, et à ce moment-là Socrate prend le relais et aide l’interlocuteur à retrouver confiance et aller de l’avant dans sa recherche de la vérité. Socrate raconte dans le Théétète qu’il a le même métier que sa mère : de même qu’elle était sage-femme et assistait à la naissance des corps, il est, lui, celui qui assiste les esprits au moment de leur naissance (4) ; lui-même n’engendre pas, puisqu'il ne sait pas, mais il aide les autres dans leur éveil à une vérité qu’ils n’avaient pas jusque là soupçonnée. Tel est le sens de la maïeutique socratique. Certes, cette « méthode » peut nous sembler extrême, de par l’insistance de Socrate sur son non-savoir radical ; et pourtant, ne dit-elle pas quelque chose de fort important à entendre aujourd’hui même ? N’est-ce pas la conversation avec autrui qui est le lieu par excellence où des êtres humains, s’ils se font confiance mutuellement, sont à même de s’ouvrir les uns et les autres – les uns par les autres – à la découverte d’une vérité plus grande ? Il y a sûrement là un enjeu éducatif de poids, comme c’était déjà le cas dans l’Athènes du Ve siècle.

      c) Troisième trait à recueillir de Socrate : la conscience d’une inspiration divine.

      Socrate en parle dans ces termes au moment où il se défend devant ses juges :

      « D'où vient que, prodiguant ainsi mes conseils çà et là à chacun en particulier et me mêlant un peu de tout, je n’ose pas agir publiquement, parler au peuple ni donner des conseils à la ville ?

      Cela tient, – comme vous me l’avez souvent entendu déclarer et en maint endroit, – à une certaine manifestation d’un dieu ou d’un esprit divin, qui se produit en moi, et dont Mélétos a fait le sujet de son accusation, en s’en moquant. C’est quelque chose qui a commencé dès mon enfance, une certaine voix, qui, lorsqu'elle se fait entendre, me détourne toujours de ce que j’allais faire, sans jamais me pousser à agir (…)

      Je ne suis pas de ceux qui parlent, quand on les paye, et qui ne parlent pas, quand on ne les paye point. Non, je suis à la disposition du pauvre comme du riche, pour qu’ils m’interrogent, ou, s’ils le préfèrent, pour que je les questionne et qu’ils écoutent ce que j’ai à dire (…)

      Alors, pour quelle raison certains auditeurs prennent-ils plaisir à passer beaucoup de leur temps avec moi ? Croyez-moi, Athéniens, je vous l’ai dit en toute franchise ; c’est qu’il leur plaît, en m’écoutant, de voir examiner ceux qui se croient savants et qui ne le sont pas. Et, en fait, cela n’est pas sans agrément. Mais, pour moi, je l’affirme, c’est un devoir que la divinité m’a prescrit par des oracles, par des songes, par tous les moyens dont une puissance divine quelconque a jamais usé pour prescrire quelque chose à un homme (5). »

     Il y a eu beaucoup de débats sur ce qu’on a appelé « démon de Socrate » ; mais le mot « démon » n’est pas une traduction heureuse, du fait de sa connotation négative (ce n’est d’ailleurs pas celle qui est retenue dans la citation ci-dessus). Il faut plutôt entendre, à travers les allusions de Socrate à son daimôn qui le retient de faire telle ou telle chose dans des circonstances difficiles, la conscience d’une voix divine qui lui parle et l’inspire (c’est d’ailleurs cela qui lui a valu l’accusation d’introduire de nouveaux dieux dans la cité). La référence à une telle voix tranche avec la vision du logos ou de la raison telle qu’elle apparaissait chez les « sophistes » ; chez ceux-ci, le logos devenait comme un instrument qu’il fallait apprendre à manier le mieux possible au service de telle ou telle cause individuelle ou politique. Avec Socrate, par contre, le logos se trouve rattaché à une transcendance qui tout à la fois le dépasse et le fonde. Il y a comme un appel adressé à la conscience même de l’homme, et un appel qui est de source divine. Cela bouscule évidemment l’individu et la cité (comme l’avait déjà expérimenté Antigone dans la fameuse tragédie de Sophocle), mais c’est en même temps et surtout le principe d’une assurance inouïe : Socrate ne se laisse pas conduire par le qu’en dira-t-on, par le « politiquement correct », ni même par une sagesse qui serait seulement immanente, il se laisse guider par la voix divine qui à certaines heures l’éclaire mystérieusement dans les profondeurs de sa conscience.

      d) Un quatrième trait peut être retenu, mais qui est en fait lié aux précédents : l’invitation de Socrate à rechercher ce qui est bien en soi et juste en soi.

      Pour Socrate, l’action bonne ou juste (ou ce qu’il appelle de façon générale la « vertu ») est une action éclairée, elle présuppose la connaissance de ce qui est précisément bon ou juste. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la formule célèbre : « Nul n’est méchant volontairement (6) ». On critique souvent cette formule parce qu’elle semble dire que l’être humain n’est pas responsable du mal qu’il commet ; en réalité la formule s’éclaire plutôt à partir du lien qui existe, selon Socrate, entre la connaissance du bien en soi et l’action qui doit normalement l’accompagner. Cela est de nouveau une position contre les « sophistes » : le bien, pour Socrate, ne se définit pas par ce qui est utile, ou par ce qui rallie le plus de suffrages (faute de quoi on en viendrait à dire que, sur le fond, tout se vaut…), mais il existe en lui-même, et c’est donc ce bien en lui-même qu’il faut chercher pour être à même de l’accomplir. L’enseignement est sûrement à entendre, face à tous les risques de relativisme qui peuvent nous guetter aujourd’hui.

      Mais il y a plus car Socrate, en même temps, est conscient de ce que l’homme de bien ou l’homme juste ne connaît pas toujours le bonheur. Or dans cette situation même, pourtant, ce sont le bien et la justice qui doivent être préférés. Cela ressort en tout cas d’un passage remarquable de la République, qui annonce de loin les premiers chapitres du livre de la Sagesse dans la Bible :

      « Donnons donc à l’injuste parfait l’injustice la plus parfaite, sans en rien retrancher ; qu’en commettant les plus grands crimes il se ménage la plus grande réputation de justice (…) ; plaçons en face de lui « le juste, homme simple et généreux, qui veut, comme dit Eschyle, non pas paraître, mais être homme de bien (…) Dépouillons-le donc de tout, excepté de la justice, et, pour que le contraste soit parfait entre cet homme et l’autre, que sans être coupable de la moindre faute il passe pour le plus scélérat des hommes (…) qu’il reste inébranlable jusqu'à la mort, toujours vertueux et toujours criminel, afin qu’arrivés tous deux au terme, l’un de la justice, l’autre de l’injustice, on puisse juger lequel des deux est le plus heureux (7). »

      En fait ce n’est pas Socrate qui parle ici, mais Glaucon, et, ajoute celui-ci, on va induire de l’antithèse ici présentée qu’il faut « non pas être juste, mais le paraître (8) »… Mais en fait cette antithèse rend hommage, comme en creux, à l’attitude du juste qui demeure tel jusque dans l’épreuve de la persécution… Socrate a eu cette intuition extraordinaire : celui qui paraît juste ne l’est pas nécessairement, et celui qui est accusé ou mis à mort peut être en réalité le véritable juste !

      e) Or – dernier trait qu’il nous faut relever – Socrate a lui-même vécu de cette intuition, par le témoignage même du procès qui l’a conduit à la mort.

      C’est pourquoi il a été perçu, aux origines de l’ère chrétienne, comme une sorte de préfiguration du Christ lui-même en sa Passion. Certes, il faut veiller à ne pas « annexer » ou « récupérer » trop immédiatement la figure de Socrate ; d’une part, comme on l’a souvent souligné, la sérénité qu’affiche Socrate par rapport à sa mort, et la manière dont il va au-devant de celle-ci (se donnant lui-même le poison de la ciguë) sont évidemment fort différentes de l’attitude que manifestera Jésus aux heures dramatiques de sa Passion (par exemple à Gethsémani) ; et d’autre part, l’enseignement que Socrate donne à ses disciples juste avant de mourir, à propos de l’immortalité de l’âme enfin délivrée de la prison du corps, est lui-même éloigné de l’espérance biblique en la résurrection de la chair. Mais si importantes que soient ces différences, il reste qu’un homme de l’Antiquité, Socrate, a été jusqu'au bout fidèle à la voix de sa conscience et qu’il a consenti à en payer le prix jusqu'à la marturia suprême – c’est-à-dire jusqu’au témoignage de sa propre mort. C’est en tout cas cette lecture qui est impliquée par les allusions de plusieurs Pères de l’Église à la mort de Socrate, et c’est aussi ce qui contribue à faire la grandeur de cette figure antique – non seulement du reste en tant qu’elle dit par avance quelque chose de la destinée unique du Christ allant jusqu'au bout de sa mission, mais aussi en tant qu’elle annonce tant de destinées d’hommes et de femmes qui, de quelque manière, ont pu être ou peuvent être aujourd’hui même des témoins incompris, humiliés ou persécutés. Par là encore se révèlent, de manière éminemment dramatique, la modernité de Socrate et la portée de son témoignage pour notre propre temps.

 

2) Modernité de Saint Paul

      La transition de Socrate aux apôtres Pierre et Paul s’impose facilement si l’on se rend attentif à deux passages des Actes des apôtres. D'abord l’épisode où Pierre, comparaissant devant le Sanhédrin, répond au grand prêtre : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29) ; c’est presque mot pour mot la reprise de ce que Socrate avait dit à ses juges 430 ans plus tôt : « Athéniens, je vous sais gré et je vous aime ; mais j’obéirai au dieu plutôt qu’à vous (9). » Ensuite, le fameux discours de Paul aux Athéniens – un discours prononcé devant l’Aréopage, donc à l’endroit même où Socrate avait jadis prononcé sa propre apologie (Ac 17, 22-31). L’auteur des Actes, qui connaissait bien la tradition grecque, a voulu manifestement présenter la figure de ces deux apôtres sur le fond de ce qui était jadis arrivé à Socrate. De plus, un auteur chrétien du 2e siècle, saint Justin, n’hésitera pas à écrire : « Ceux qui ont vécu selon le Logos sont chrétiens (christianoi), même s’ils ont été tenus pour athées, comme par exemple, chez les Grecs, Socrate (10) » ; le qualificatif « christianoi » signifie que de tels hommes étaient par avance associés ou même unis au Christ, alors même qu’ils avaient vécu dans les siècles anciens et n’avaient donc pu connaître la révélation de Dieu en son Fils, le Verbe de Dieu fait chair.

      Cela étant reconnu, la comparaison entre Paul et Socrate aide cependant à percevoir des traits profondément originaux du premier par rapport au second – et des traits qui contribuent par là même à en montrer la modernité pour l’Europe et plus largement les nations. Je le ferai en reprenant les cinq thématiques que j’ai précédemment développées.

      a) Qu’en est-il, d’abord, du rapport à la connaissance ?

      Nous avons vu comment Socrate mettait en question des prétentions indues au savoir, ou des manières de limiter celui-ci à l’apprentissage de techniques ou d’un pur savoir-faire au lieu de rechercher ce qui est juste en soi et bon en soi. Si l’on repense à la formule que Socrate répétait sans cesse : « je sais que je ne sais pas », on sera alors tenté de lui opposer l’attitude de Paul qui, lui, témoigne bien de ce qu’il sait ; car lorsque Paul s’adresse aux Athéniens, il leur dit : « parcourant votre ville et considérant vos monuments sacrés, j’ai trouvé jusqu'à un autel avec l’inscription : Au Dieu inconnu. Eh bien ! ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l’annoncer » (Ac 17, 23). Et de fait, dans la suite de son discours, Paul annonce bien aux Athéniens quelque chose que jusque là ils ne savaient pas : « voici que, fermant les yeux sur les temps de l’ignorance, Dieu fait maintenant savoir aux hommes d’avoir tous et partout à se repentir, parce qu’il a fixé un jour pour juger l’univers avec justice, par un homme qu’il y a destiné, offrant à tous une garantie en le ressuscitant des morts » (Ac 17, 30-31).

      Au non-savoir de Socrate semble donc s’opposer un savoir de Paul. Mais en fait, y a-t-il vraiment opposition ? D'un côté, le non-savoir de Socrate était certes la critique des fausses prétentions au savoir, mais ne consistait pas pour autant à dire que rien ne pouvait être connu. De l’autre, à l’inverse, le savoir de Paul n’est pas un savoir qui devrait autoriser le retour à quelque forme de positivisme, ou qui devrait justifier telle ou telle forme de dogmatisme ou de fanatisme. Ce savoir n’est rien d’autre, en réalité, que le témoignage rendu à un événement qui s’est produit dans notre histoire et à l’espérance dont cet événement est porteur. Paul n’entend pas dire ce qu’il sait de lui-même ou par lui-même, il entend simplement dire ce qui lui a été révélé et qu’il a accueilli dans la foi moyennant sa propre conversion ; et il a à cœur de le dire parce que cet événement n’est pas simplement un événement qui le concernerait à titre personnel mais un événement qui concerne aussi les Athéniens et qui, à travers eux, concerne en fait toutes les nations.

      Paul est d’ailleurs conscient de ce que cette révélation a trouvé dans le monde grec lui-même quelque pressentiment ou préparation : il y a eu dans ce monde (comme dans toutes les nations) des hommes et des femmes qui ont cherché la divinité comme à tâtons. Mais il reste qu’un événement nouveau s’est inscrit dans notre histoire : Dieu « a fixé un jour pour juger l’univers avec justice, par un homme qu’il y a destiné, offrant à tous une garantie en le ressuscitant des morts ». C’est l’annonce d’une nouvelle inouïe : la révélation de ce qu’est la vraie justice, liée à quelqu'un de notre histoire – un homme comme nous, et néanmoins unique comme l’atteste la « garantie » de sa victoire sur la mort. La modernité de saint Paul est d’abord là : le savoir dont il est porteur ne met pas en cause la dénonciation socratique des fausses prétentions au savoir, mais il résonne comme une bonne nouvelle pour tous ceux cherchent la divinité à tâtons, qui entendent l’appel à se repentir, qui sont en quête de la vraie justice, et qui, face à l’énigme de la mort, apprennent qu’un homme passé par la mort a été relevé d’entre les morts –  ce qui est le fondement d’une espérance sans précédent pour nos défunts et nous-mêmes, mais aussi pour toutes les victimes de l’histoire. C’est cette bonne nouvelle que Paul annonce, cet « Évangile » qui est, comme il le dit dans sa lettre aux Romains, « une force de Dieu pour le salut de tout croyant, du Juif d’abord, puis du Grec ». L’humanité fait l’expérience qu’elle ne peut parvenir par ses propres forces à la justice de Dieu, mais cette justice même a été désormais manifestée ; Paul croit cela et l’annonce, pour que d’autres à leur tour le croient et l’annoncent ; « la justice de Dieu se révèle de la foi à la foi : le juste par la foi vivra » (Rm 1, 16-17).

      b) J’ai mis en évidence un deuxième trait à propos de Socrate : sa « méthode » du dialogue ou de la conversation. Les écrits de Paul, quant à eux, ne sont certes pas des dialogues mais des lettres. Or par son genre littéraire toute lettre exprime en elle-même une forme de relation avec autrui. Plus généralement, Paul ne cesse de communiquer avec autrui – qu’il s’agisse de Pierre et des autres apôtres, ou des destinataires de ses discours dans les Actes, ou bien entendu des chrétiens de Thessalonique, de Philippes, de Corinthe ou de Rome. Il est important de souligner cette dimension profondément relationnelle de l’existence de Paul. Et cette dimension n’apparaît pas seulement au plan des relations interpersonnelles (lorsque Paul parle avec Pierre, Barnabé ou Tite), ni même seulement au plan des relations d’un homme à une communauté (celle de Corinthe ou de Rome) ; elle se manifeste dans la manière même dont Paul se situe, plus largement, dans le monde de son temps.

      Le premier siècle de notre ère est de fait marqué par une unification progressive des régions et pays autour du Bassin méditerranéen, ou tout au moins par des échanges croissants entre ces pays, et il y a de ce point de vue, jusqu'à un certain point, comme une sorte de « mondialisation » avant la lettre. Or Paul en bénéficie lui-même puisque, tout en étant Juif, il appartient à la Diaspora de langue grecque et, de plus, a le rang de citoyen romain. Une fois converti au Christ, il est conscient des ressources que cette « mondialisation » offre pour le développement des communautés chrétiennes. Non seulement il écrit dans la koinè de l’époque – la langue grecque –, mais il entend l’appel à quitter le Proche Orient et l’Asie mineure pour passer en Macédoine, il se rend dans des cités aussi importantes qu’Athènes et Corinthe, il se déplace jusqu’à Rome et il a même le projet de se rendre en Espagne.

      Mais encore faut-il que les relations entre les humains soient comprises et vécues à la lumière de l’Évangile. Les épîtres nous montrent que cela ne va pas de soi, certaines communautés étant tentées par une forme d’hégémonie par rapport à d’autres, ou étant même tentées par ce qu’on appellerait aujourd’hui des replis identitaires ou des formes de communautarisme. Paul réagit, dans la 1e épître aux Corinthiens, par rapport à des groupes qui pouvaient se contenter d’une communication accessible aux seuls initiés (la « glossolalie ») et plaide pour une communication plus largement intelligible de l’expérience chrétienne, avec toutes les médiations que cela suppose ; ou encore, il se bat contre la prétention de certains groupes chrétiens qui rivalisent entre eux au nom de leur référence à Pierre, à Apollos ou à d’autres, au lieu de se référer d’abord et avant tout au Christ. Positivement, par contre, il a un sens aigu des réseaux qui sont essentiels aux chrétiens dans le monde de son temps – réseaux internes aux communautés, mais aussi réseaux entre ces communautés –, en ayant le souci que les relations ainsi nouées soient sous le signe de l’amour mutuel (allant jusqu'à l’entraide matérielle quand il le faut) et qu’elles incarnent en elles-mêmes « les sentiments qui furent dans le Christ Jésus »,  lui qui, « de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu », mais qui « s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave et devenant semblable aux hommes… » (Ph 2, 5-7).

      c) Je relevais à propos de Socrate un troisième trait : la conscience d’une inspiration divine. Cela vaut évidemment de Paul lui-même, qui raconte lui-même à trois reprises la révélation dont il a bénéficié sur le chemin de Damas et qui se présente toujours comme « envoyé ».

      Un lien plus étroit peut être même suggéré entre le « dieu » auquel se référait Socrate et la puissance qui inspire Paul. Socrate disait que la voix de son « dieu » intervenait le plus souvent pour le retenir de faire ceci ou cela ; or dans un passage des Actes nous lisons ceci : Paul et Timothée « parcoururent la Phrygie et le territoire galate, le Saint Esprit les ayant empêchés d’annoncer la parole en Asie. Parvenus aux confins de la Mysie, ils tentèrent d’entrer en Bithynie, mais l’Esprit de Jésus ne le leur permit pas » (Ac 16, 6-7). Cela dit, dans le cas de Paul, l’Esprit de Dieu intervient aussi et surtout comme une force qui, positivement, le porte à aller de l’avant ; c’est le cas avec le récit qui suit immédiatement : « pendant la nuit, Paul eut une vision : un Macédonien était là, debout, qui lui adressait cette prière : “Passe en Macédoine, viens à notre secours !” Aussitôt après cette vision, nous cherchâmes à partir pour la Macédoine, persuadés que Dieu nous appelait à l’évangéliser » (Ac 16, 9-10). Paul est ainsi poussé par l’Esprit à se rendre sur la terre de Socrate… Plus largement, il est habité par cet Esprit qui le conseille et le guide – non pas n’importe quel esprit (car il y a aussi de mauvais esprits), mais l’Esprit de Dieu, l’Esprit de sainteté, et c’est par là aussi que sa figure nous rejoint aujourd’hui. Ce grand homme d’action n’a pas été un activiste, parce que c’est dans l’Esprit du Christ qu’il a puisé l’inspiration de sa pensée et de toutes ses entreprises. C’est l’écoute de cette voix divine en lui qui lui a permis – en relation avec ses frères – d’être libre par rapport aux pressions qui auraient pu le détourner de sa mission, ou qui, dans d’autres cas, lui a donné la force et l’énergie d’aller de l’avant dans la réalisation de ses tâches au service de l’Évangile.

      d) Écouter l’Esprit de Dieu et se laisser conduire par lui, c’est identiquement vouloir et accomplir ce qui est juste et bon. Nous retrouvons ainsi le quatrième trait que je relevais à propos de Socrate : ne pas chercher d’abord ou à n’importe quel prix l’utilité, l’efficacité, la bonne réputation ou la réussite, mais chercher ce qui est juste en soi ou bon en soi. Cependant, nous franchissons ici un pas de plus, car avec saint Paul la justice ou la bonté se définit fondamentalement par le don de soi, l'agapè, qui n’est pas simplement une valeur éthique mais qui caractérise la vie même de Dieu manifestée en son Fils ; comme le dit Paul, « cherchez à imiter Dieu, comme des enfants bien-aimés, et suivez la voie de l’amour, à l’exemple du Christ qui vous a aimés et s’est livré pour vous » (Eph 5, 1).

      Il serait possible de montrer comment se décline chez Paul ce commandement de l’amour, non seulement dans l’existence personnelle du croyant, mais à travers toutes les relations familiales, économiques et politiques ; et l’on pourrait en souligner les incidences pour nous-mêmes qui, en Europe comme sur les autres continents, sommes confrontés à la même exigence d’évangéliser les relations interpersonnelles, sociales et internationales – les évangéliser, c’est-à-dire travailler à ce qu’elles soient imprégnées de l'agapè et donc, identiquement, pénétrées de la vie même de Dieu. Mais je voudrais plutôt insister sur la portée universelle d’un tel message. Déjà Socrate ouvrait à l’universel en invitant à chercher ce qui est juste en soi ou bon en soi, car ce qui est juste en soi ou bon en soi, par le fait même, doit valoir pour tout être humain quel qu’il soit. Pour Paul, en tout cas, il devient évident que, puisque le Christ a donné sa vie pour tous, tous ceux qui accueillent l’Évangile et qui suivent la voie de l'agapè sont un en Lui, malgré ou à travers leurs différences biologiques, familiales, sociales ou ethniques : « c’est lui qui est notre paix, lui qui de deux n’a fait qu’un peuple, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine… » (Eph 2, 14) ; « vous tous, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a pas l’homme et la femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3, 26-28). Paul était témoin de ce que cela était déjà accompli dans les communautés chrétiennes de son temps, là du moins où les différences ne faisaient plus obstacle à la communion. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Si nous sommes conscients de tous les clivages qui se dressent dans nos sociétés ou entre nos sociétés, de tous les murs de séparation qui sont érigés çà et là, nous pouvons alors recevoir la parole de Paul « il n’y a ni Juif ni Grec… » non pas comme une parole du passé mais comme une parole pour l’avenir, comme une parole qui certes a commencé de se réaliser mais qui par ailleurs n’est que trop souvent démentie, comme une parole qui attend donc son plein accomplissement – mais aussi, par le fait même, comme une parole qui dit notre espérance.

      e) Je relevais un dernier trait à propos de Socrate : il vécut jusqu'au bout selon sa conscience, au point de le payer de sa vie. Ce témoignage, cette « martyria », a beaucoup impressionné certains chrétiens dans les premiers siècles de l’Église ; c’est en pensant à Socrate que saint Justin, au 2e siècle, a lui-même écrit une Apologie pour justifier les chrétiens auprès de l’empereur, et c’est notamment le souvenir de sa destinée finale qui l’a conduit à l’audacieuse formule précédemment citée : « Ceux qui ont vécu selon le Logos sont chrétiens, même s’ils ont été tenus pour athées, comme par exemple, chez les Grecs, Socrate… »

      Pourtant, malgré le parallèle qui a été souvent fait entre la mort de Socrate et la mort du Christ ou le martyre des premiers chrétiens, il apparaît que Paul ne se situe pas d’abord dans la perspective d’une fin aussi dramatique. Certes, il est tout à fait lucide sur cette éventualité, comme le montre ce passage de la 2e épître aux Corinthiens : « Souvent j’ai été mis à la mort. Cinq fois j’ai reçu des Juifs les trente-neuf coups de fouet ; trois fois j’ai été flagellé ; une fois lapidé ; trois fois j’ai fait naufrage… » (2 Co 11, 23-25). Toutefois il ne va nullement au-devant du martyre (et sans doute est-il d’ailleurs significatif que les Actes des apôtres n’aillent pas jusqu'au récit de sa mort « hors des murs » de Rome). La « couronne de victoire » à laquelle il aspire, ce n’est pas ce martyre, c’est bien plutôt de voir les communautés unies au Seigneur, ainsi qu’il le dit dans une autre épître : « Quelle est en effet notre espérance, notre joie, la couronne dont nous serons fiers, si ce n’est vous, en présence de notre Seigneur Jésus lors de son Avènement ? » (1 Th 2, 19).

      Bien plus, au fur et à mesure que le temps passe et que Paul ne considère plus la fin des temps comme imminente, il affirme la nécessité des médiations sociales et politiques. Lui-même exerce un métier, comme « fabricant de tentes » (Ac 18, 3), et il est donc inséré dans la vie quotidienne de son temps. Il reconnaît explicitement qu’il faut se soumettre aux pouvoirs civils et respecter l’autorité en tant que garante de l’ordre social (Rm 13, 1 et suiv.). Son œuvre même montre bien qu’il cherche à implanter durablement des communautés chrétiennes, et cela au cœur même de grandes cités comme Corinthe. Certes il est libre par rapport à toute puissance qui le détournerait de sa fidélité à l’Évangile – qu’il s’agisse du pouvoir politique, des pressions exercées au nom de la Loi juive, ou des croyances ou cultes païens. Mais il ne conçoit pas pour autant les chrétiens comme devant être séparés du monde ou comme étant inéluctablement voués au martyre. Il est plutôt convaincu que la force de l’Évangile est à même de donner confiance et de permettre aux chrétiens d’assumer la responsabilité qui est la leur au sein du monde et au bénéfice de ce monde. Ce n’est pas là le moindre aspect de ce qui fait sa modernité pour les chrétiens d'aujourd'hui à qui il n’est demandé ni de se tenir en écart du monde (même si la vocation monastique a par ailleurs un sens très profond), ni d’aller au-devant du martyre (même si celui-ci peut advenir le cas échéant), mais avant tout d’être « enfants de Dieu » au cœur de ce monde où ils ont vocation de « briller comme des foyers de lumière » (Ph 2, 15).

     

      Il y aurait sans doute d’autres traits à relever pour faire paraître la modernité de Socrate et celle de saint Paul. J’espère avoir au moins suggéré que l’une et l’autre figure sont porteuses de très grandes ressources, et qu’elles sont vraiment à même d’éclairer notre pensée et notre action dans le contexte de nos sociétés européennes à l’heure de la mondialisation. Elles ne sont évidemment pas sur le même plan, et elles présentent même des différences importantes ; mais elles s’éclairent aussi l’une par l’autre, l’œuvre de Paul pouvant entre autres se comprendre sur le fond d’une longue « préparation évangélique » en monde grec, et la destinée de Socrate représentant quant à elle une nouvelle étape dans la quête humaine de la vérité et de la justice. J’espère avoir surtout suggéré que la rencontre de Paul et de la Grèce ancienne ne s’est pas seulement jouée devant l’Aréopage d’Athènes, mais continue de se jouer aujourd’hui même à Inoï, à Paris, et en bien d’autres lieux de notre monde.

Michel Fédou sj

Église Saint-Ignace, Paris, 17 janvier 2015

 

 

 

1 Platon, Apologie de Socrate, 30a-b ; trad. M. Croiset, Les Belles Lettres, 1925, p. 157.

2 Ibid., 30e-31a ; p. 158.

3 D’après Apologie de Socrate, 24c ; p. 149.

4 Théétète, 149a et 150b-c ; trad. A. Diès, Les Belles Lettres, 1924, p. 166 et 168.

5 Apologie de Socrate, 31c-d, 33b-c ; trad. M. Croiset, Les Belles Lettres, 1925, p. 159, 161-162.

6 Cf. Timée 86e (Les Belles Lettres, 1925, p. 220); Protagoras, 345d (Les Belles Lettres, 1935, p. 66).

7 République, II, 381a-d (trad. E. Chambry, Les Belles Lettres, VI, p. 54-55)

8 Ibid., 362a (p. 55).

9 Apologie de Socrate, 29d ; loc. cit., p. 156-157.

10 Justin, Apologie pour les chrétiens, 46, 3 ; trad. Ch. Munier, Sources Chrétiennes n° 507, p. 251

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